vendredi 30 juillet 2010

L’écrivain au café


Une amie, depuis peu en jachère professionnelle, du temps devant elle et en tête une trame d’histoire ne demandant qu’à devenir manuscrit de best-seller, m’a dit vouloir profiter de son temps pour écrire, chaque matin, au café, ordi portable à côté du petit noir. L’image même de l’écrivain, non ?
Ben oui. Tenez il y a quelques jours, dans un épisode de la dernière saison des Desperate Housewives, intervenait un homme, sourire émail diamant et contemplant un livre comme moi de l’art abstrait, qui, attablé dans un troquet ordi devant lui, s’excusait auprès du serveur d’être « encore un de ces types qui écrivent dans un café ».
Bon lui faisait semblant, il n’était pas vraiment écrivain. Mon amie elle ne fait pas semblant, je ne sais pas si son manuscrit avance mais en tout cas le dynamisme de son blog (oui elle a un blog elle aussi, bien rigolo d’ailleurs, promis je vous donnerai le lien le jour où son manuscrit sera terminé et édité !) me permet d’affirmer que, au café ou ailleurs, elle parvient à écrire quotidiennement (rhô tout de suite vous, ok, je sais bien qu’on ne peut pas en dire autant de tout le monde et de tous les blogs, inutile de retourner le couteau, pff…).
Bref. Pourquoi ce mythe de l’écrivain au café ? Déjà parce qu’on aime imaginer l’Ecrivain avec un grand E se pavanant dans un chic café parisien, le Flore en général, entouré de gens brillants souvent eux-mêmes écrivains et occupés à des conversations s’envolant loin au-dessus des gris cieux de la capitale. Et parce qu’on nous dit que quand l’écrivain n’est pas occupé à discourir brillamment il l’est à écrire ou à observer la vraie vie des gens non écrivains pour trouver matière à ses prochains bouquins. Le café permettrait ça : la table pour écrire, et le va-et-vient, dans le café et dans la rue, de vrais gens inspirant de fausses histoires.

Alors moi aussi j’ai eu envie de tester.

L’écrivain et son laptop au café
Bon autant vous le dire, je n’ai pas pu tester moi-même le coup de l’écrivain écrivant sur son portable au café. J’aurais bien voulu, malheureusement la batterie du mien de portable a une autonomie dans le meilleur des cas de 13 minutes et 47 secondes, ce qui me suffit à peine à l’allumer, relire mes deux derniers paragraphes pour me les remettre en mémoire, commander mon café, cogiter et écrire deux mots avant que tout s’éteigne brutalement et que je perde les deux mots si vaillamment rédigés.
Par contre l’autre jour j’ai eu la chance de me retrouver dans un café parisien deux tables derrière un écrivain avec son portable qui a fonctionné pendant toute l’heure que j’ai passée derrière lui. Comment je savais que c’était un écrivain ? Parce que, si je n’étais pas suffisamment près de lui pour lire ce qu’il écrivait, je voyais que sa page affichait des alternances de courts blocs de textes et de passages commençant par des tirets : des dialogues, forcément. Donc de la fiction. Donc un écrivain. J’ai vérifié en laissant un stylo rouler jusqu’à sa table, ça m’a permis d’aller y jeter un œil sans me faire repérer. Ça ressemblait bien à de la fiction.
Mon écrivain donc, je l’ai observé une bonne heure. Après j’avais à faire. Je ne sais pas s’il y a eu un grand changement après mon départ, avant en tout cas il n’a pas tellement écrit. Trois lignes de dialogue consécutives d’un coup à un moment, qu’il a effacées trois minutes après. Par contre il a beaucoup cherché à observer la vraie vie de vrais gens je crois, il n’arrêtait pas de regarder tout le monde en jouant avec ses cheveux et les lunettes de soleil dans ses cheveux. Tout le monde ne le regardait pas en revanche. Ça a dû être un peu décevant pour lui qui ne faisait rien pour cacher sa jolie (hem) prose. C’est pas de chance tout de même, s’il s’était retourné il aurait peut-être vu qu’il avait du public deux tables derrière lui. Qui sait, ça aurait pu l’inciter à retaper quelques lignes de dialogues pour mieux les effacer après.
Mais laissons cet écrivain. J’ai quand même essayé d’écrire au café, moi aussi, mais je l’ai fait avec crayon (le stylo dont je vous parlais plus haut) et papier. Dans le café de l’écrivain c’était pas évident car il y avait un grand soleil qui se réfléchissait sur mes feuilles et ça me faisait plisser les yeux. Je comprends du coup les lunettes de soleil de l’écrivain, c’est encore pire le soleil avec un portable, on ne voit plus rien du tout. En tout cas pour moi, entre le soleil et le spectacle de l’écrivain, ça n’a rien donné ce jour-là.

La vraie vie des vrais gens au café
Je n’allais bien sûr pas en rester là. J’ai retesté cette semaine à la terrasse d’un café face à la gare d’une grande ville normande. Oui, drôle d’idée, je sais, d’ailleurs ça ne m’a pas vraiment réussi. Au bout de quelques minutes, un serveur m’apportait une monstrueuse limonade dans une chope à la propreté douteuse, disant « c’est gratos » avec un sourire encore plus douteux et posant le verre sur un sous-bock où étaient griffonnés son prénom et son numéro de tél, sous-bock dans un état qui me laissait penser qu’il était loin d’en être à sa première cible. Là j’étais légèrement ennuyée et déconcentrée, du coup j’ai pensé délaisser mes feuillets pour m’intéresser à la conversation de la table voisine. Trois gars, une fille, dans les 20-25 ans. L’un des gars parlait d’un type qu’il n’avait pas l’air d’aimer tellement, il l’appelait « tête de mort » mais sans humour hein, pas la version De Caunes-Garcia, je ne savais pas qu’elle existait encore cette expression, et la fille embrayait en parlant d’un type qu’elle avait rencontré, « trop gentil le gars, du genre j’te paye le kebab et tout ! ». Tout un programme. Que j’ai choisi de ne pas suivre – je suis partie.
Je reteste trois jours plus tard, à la terrasse du café principal d’une charmante petite ville des Pays de la Loire (eh oui, c’est que je voyage drôlement moi !), un lieu plein de cachet. Patronne aimable, parasol atténuant le soleil, tasse propre. Je sors mes feuillets, prends mon stylo. Un des deux chiens qui dormaient sous la seule autre table occupée se lève et vient me renifler les pieds. Bon, tant qu’il ne bave pas. Je retourne à mes feuilles, le propriétaire du chien se lève et vient me dire « excusez-nous mademoiselle, il est pas méchant hein ». Soit. Sauf que le manège a duré 15 minutes, 15 minutes pendant lesquelles l’un ou l’autre des chiens venait renifler mes pieds ou se coller à mes jambes, et son propriétaire venait s’excuser puis ramenait le chien et s’asseyait et ça recommençait. Alors de nouveau je suis partie.
Ce sont des tranches de vie, je ne dis pas le contraire, des tranches plutôt épaisses d’ailleurs puisqu’on en parle. Mais bon.

Tout ça pour dire que si vous voulez montrer que vous écrivez, si cela vous permet de vous remotiver pour l’écriture, si vous êtes de ceux que Pennac appelle ceux qui ne veulent pas écrire mais « avoir écrit », ou bien si vous avez des yeux adaptés à une grande luminosité, des oreilles capables d’une grande patience et une capacité de concentration hors norme, oui, vous pouvez écrire au café. Mais sinon, un conseil, à part chez lui, c’est encore dans un RER que l’écrivain peut le mieux écrire. Si si ! Il lui suffit de choisir une place côté fenêtre en bout de rame : un mur dans le dos, pas d’yeux baladeurs pour lire par-dessus l’épaule, des grosses tranches de vie en veux-tu en voilà mais une lassitude, un bruit qui incitent la plupart à s’enfermer dans leur bulle laissant aux autres une paix appréciable. Que du bonheur !

Fort bien mais, avec tout ça vous dites-vous, n’aurais-je pas oublié les fameuses grandes conversations de l’écrivain au café ? Eh bien non, mais celles-ci figurez-vous que je n’en ai pas vu trace. Il s’en entend peut-être au café de Flore cela dit, aucune idée, pas pu tester, là-bas même un café est au-dessus de mes moyens. Mon oncle (un écrivain lui aussi, en secret) m’y a bien emmenée une fois, il y a une quinzaine d’années, on avait sans doute économisé pendant quelques semaines avant. Mais je ne me rappelle pas y avoir entendu de grandes envolées, à part les nôtres à mon oncle et moi en découvrant (et chipant, ces choses-là se conservent !) l’addition faramineuse de l’homme à la table à côté. Il avait mangé une petite omelette.

1 commentaire:

  1. Tu me fais trop rire ! Excellent la scène du chien ! J'ai hâte de lire ton roman !

    oui je confirme, le train, c'est mieux

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